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Et si l’on jouait à la mouche ?

Publié le par Alain Veinord

– Si l’on jouait à la mouche ? proposa tout à coup un vieil habitué. Cette idée fut accueillie par des bravos enthousiastes. La mouche est un jeu exclusivement américain et qui se pratique surtout à bord des paquebots transatlantiques, pour charmer l’ennui des traversées.

Douze des membres du club déposèrent chacun une bank-note sur le tapis, sur chaque bank-note on plaça un morceau de sucre, puis toute l’assistance demeura plongée dans un religieux silence et dans une immobilité complète.

Tout à coup une mouche qui voletait en bourdonnant, près des rosaces électriques du plafond, descendit attirée par l’odeur du sucre. Joueurs et spectateurs demeuraient figés dans une raideur de statue.

La minute était émotionnante. On eût pu discerner dans le grand silence le souffle haletant des joueurs oppressés d’angoisse.

La bestiole tourna quelque temps autour d’un plateau sur lequel étaient posées des bouteilles de champagne et de whisky, puis elle piqua droit au morceau de sucre déposé en face de Baruch. Celui-ci ne put retenir un imperceptible tressaillement qui fit s’envoler la mouche. Elle alla se poser sur le morceau de sucre d’Arnold Stickmann qui, lui, n’avait pas bronché.

– Gagné ! crièrent bruyamment les joueurs.

Stickmann eut un sourire dédaigneux et rafla d’un geste négligent les onze billets qui se trouvaient sous les morceaux de sucre.

On renouvela les enjeux, mais cinq fois de suite, Arnold Stickmann gagna. Un à un, comme la première fois, les joueurs se retiraient de la partie, impressionnés par cette chance invraisemblable. De nouveau Baruch et Stickmann demeurèrent seuls en présence ; il y avait dix bank-notes de mille dollars sous chaque morceau de sucre.

Les témoins de cette scène en suivaient les péripéties avec cet intérêt passionné, presque maladif, que mettent les Yankees à toute espèce de jeu ou de sport. Ne jouant plus pour laisser le champ libre aux deux adversaires, ils engageaient à voix basse des paris.

– Je mets deux mille sur Baruch !

– Et moi deux mille sur Stickmann, il tient la veine !

– Possible, mais la chance va tourner ! C’est Baruch qui gagnera !...

– Nous allons bien voir.

– Trois mille dollars.

– Tenu !

Pendant ce temps, la mouche, que tous les regards suivaient avec anxiété, s’amusait pour ainsi dire à faire la coquette, elle tourbillonnait à travers la vaste salle, s’éloignant, puis se rapprochant pour s’envoler de nouveau vers les hauteurs du plafond. Un instant même, elle se plaça – comme pour les narguer – juste entre les deux joueurs pâles et frémissants.

Tout à coup elle se posa sur le morceau de sucre de Baruch. Enfin il gagnait. Avidement, il s’empara des enjeux de son adversaire qui souriait d’un air détaché, en homme pour qui la perte ou le gain d’un matelas de bank-notes plus ou moins épais est une chose absolument indifférente.

Les partisans de Baruch gagnaient du terrain ; la chance semblait avoir tourné. La partie se continua avec plus d’acharnement qu’auparavant.

À ce moment il se produisit entre les parieurs une discussion qui faillit se terminer à coups de browning ; quelqu’un avait, sans songer à mal, allumé un régalia dont la fumée pouvait influencer l’insecte, en ce moment arbitre des destinées du jeu. Le malencontreux fumeur, honni de tous, dut jeter son cigare et faire des excuses.

Cette fois, Baruch mit vingt billets sous un morceau de sucre, il gagna.

Stickmann, toujours souriant, tira de son portefeuille en peau de porc cinquante bank-notes. Baruch, sans une seconde d’hésitation, en plaça un nombre égal en face de lui.

La partie devenait grandiose, mais la mouche, suffisamment gorgée de sucre, s’était envolée par la fenêtre grande ouverte. Joueurs et parieurs étaient furieux.
...

Ainsi vous venez de lire notre première description du célèbre jeu "Mosca".

Cette dernière est extraite du roman de Gustave Lerouge :
"L'énigme du Greek Sanglant"
Chapitre du "Haricot noir".
Un des premiers épisodes du Docteur Cornelius.

Selon l'anthologiste en tricheries diverses, John Fisher, il est possible d'être toujours gagnant à ce jeu d'argent de mauvais genre.

Nous en tairons le secret puisque de jeunes gens peuvent nous lire.
Mais cela ne veut absolument pas dire que nous tolérons ce genre de pratique chez les plus âgé-es. 
Par exemple, nous estimons que de ne pas dire toutes les règles d'un jeu de société à de nouveaux joueurs, c'est aussi prendre ce chemin de déperdition.

Bref !
Passons maintenant à une description plus cinématographique de ce jeu de haut vol, avec ce film célèbre d'Henri Verneuil tourné à Vaison la Romaine : "Le Mouton à Cinq pattes"
Attention cet extrait est fortement immoral

Notes de lectures :
Ci joint le lien pour lires les oeuvres diverses de Gaston Lerouge ( et autres auteurs ) en pdf, epub ou format word :

archives québecoises



 

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